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Culture
Entre lutte des classes et guerre des sexes, entre répulsion et désir sexuel, Mademoiselle Julie fait monter la tension à La Virgule ce mois-ci. Pour cette nouvelle création de la compagnie installée à Tourcoing, Jean-Marc Chotteau a réuni un remarquable trio de comédiens dans un huis-clos tendu, parfois suffoquant et violent, mais qui offre également quelques moments d’un rire libérateur. Il captive le spectateur par sa mise en scène haletante de la sulfureuse tragédie d’August Strindberg.
La scène
L’affiche
Quel défi que celui relevé avec brio par Jean-Marc Chotteau : réussir à bouleverser son spectateur par une mise en scène rigoureuse et classique, d’une fidélité absolue au texte ; nous démontrer qu’il reste tant à explorer et à comprendre de cette pièce, écrite en 1888 et censurée à sa création ; nous rappeler, enfin, que le théâtre est un art indispensable et intemporel.
Mademoiselle Julie met en scène trois personnages : Julie, fille d’un Comte, interprétée par une formidable Julie Duquenoy ; Jean, le valet du compte, joué par le très convaincant Melki Izzouzi et Kristin, fiancée de Jean et cuisinière, incarnée avec force par Estelle Boukni.
En ce soir de la Saint-Jean, tout semble permis. Julie tente de se libérer de son rang, de séduire Jean en faisant fi des barrières sociales. La mise en scène ne cesse d’emporter le spectateur çà et là dans cet incroyable jeu de va-et-vient, sublimant ainsi le jeu de séduction entre Julie et Jean. Ils se rapprochent, s’éloignent, et finissent par céder à la tentation dans la folie d’une nuit qui envahit totalement la scène. Ce rythme saccadé et les ruptures dans la mise en scène sont autant d’illustrations de la confusion des sentiments des personnages.
Melki Izzouzi dans le rôle de Jean
À la fin de la représentation, dans la rencontre bord plateau qui succéda à la pièce, écouter Jean-Marc Chotteau expliquer son cheminement fût tout à la fois étonnant et passionnant. C’est, en effet, le décor naturaliste de la pièce qui a été à l’origine de sa lecture de Mademoiselle Julie. Il affirme, ainsi, que la première étape de la production de celle-ci a consisté à dessiner le décor.
Nous nous trouvons dans la cuisine de la propriété du Comte, personnage que l’on ne voit pas mais qui est représenté par les bottes cirées par Jean et trônant au milieu de la pièce. Cette cuisine sent le cognac (littéralement, ndlr), elle est nettoyée de façon obsessionnelle par Kristin, domestique aux traits fatigués par la dureté de son travail et par l’usure du temps. À l’instar d’une description d’un roman de Zola, Jean-Marc Chotteau nous entraine ainsi dans l’intimité de ces trois personnages, dont le destin se trouve bouleversé en cette folle et tragique nuit de la Saint-Jean.
Au-delà de la tension physique et psychologique éprouvée par les trois personnages, sa mise en scène naturaliste accentue la violence verbale du texte de Mademoiselle Julie et la cruauté du destin des trois personnages, Kristin, Jean et Julie. Les mots crus d’August Strindberg résonnent avec force dans le théâtre pour nous rappeler sans cesse la bassesse dont est capable l’humanité et l’accablement auquel font face des personnages. Dans ce huis-clos passionné, les accès de colère – voire de folie – de Julie, poussent Jean à la mépriser autant qu’il la désire
Mademoiselle Julie n’est pas seulement une tragédie sur la confusion des sentiments. C’est aussi l’histoire de deux personnages qui cherchent à sortir de leur condition. Julie a le souhait d’explorer la liberté de mœurs dont elle pense que jouit le peuple, Jean rêve, lui, de franchir la frontière qui le tient à distance de la haute société. Jean rêve de grandeur, Julie d’affranchissement, or c’est une terrible dégringolade sociale qui les attend tous deux. Dans cette tragédie, où l’intrigue se déroule en une nuit et en un seul lieu, se joue le cataclysme de leurs vies.
Jean-Marc Chotteau, le metteur en scène
On ne saurait, enfin, parler de Mademoiselle Julie sans évoquer sa paradoxale dimension féministe. Au-delà de leur volonté de sortir de leur condition, Julie et Jean se livrent une véritable guerre des sexes. Lorsque l’on interroge Jean-Marc Chotteau sur la dimension féministe de la pièce, celui répond avec un sourire malicieux que Strindberg était un grand misogyne. C’est donc grâce à sa lecture de la pièce et à sa mise en scène, que le spectateur ressort avec le sentiment d’avoir vu une pièce féministe. Julie Duquenoy incarne avec force son personnage et fait ressentir le fardeau de la condition de la femme. Au travers de son interprétation, elle soulève des sujets universels, notamment le traitement des femmes dans leur intimité et dans la société. Elle est à la fois objet de désir et de mépris aux yeux de Jean. Fatalement, elle est confrontée au fait que, malgré son rang, elle n’est qu’une femme dans une époque qui ne leur permet rien.
Allez sans hésiter découvrir Mademoiselle Julie, plongez dans un tourbillon de sentiments intenses, confrontez-vous aux paradoxes de ses personnages et vivez pleinement cette pièce passionnante. Si vous aimez les beaux textes et les mises en scènes exigeantes vous serez comblés.
L’équipe du Chti
La Virgule, Centre transfrontalier de création théâtrale, au 82 Boulevard Gambetta, 59200 Tourcoing
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